On ne dira pas que «La bataille de Wagram» fait penser à Stendhal : Gilles Lapouge écrit avec plus d'élégance et autant de vivacité. Ni que le remarquable montage du récit fait penser à Giono : les hussards paradent dans les bals luxueux de Vienne et galopent sur les chemins de I'histoire, ceux qui mènent vers l'un des lieux les plus sanglants de l'aventure napoléonienne. Au cœur du carnage, par régiments interposés, se résoudra cruellement la mésentente de deux époux somptueux, la duchesse Clémence et son mari, le duc de Saxe-Salza. Celui-ci est propriétaire d'un régiment saxon de hussards bleus, qui combattra pour le compte des français. La duchesse Clémence est «colonel» d'un régiment de cuirassiers, aussi autrichiens que les hussards, mais engagés, eux, du côté autrichien... Le fait est historique. Pourtant, Gilles Lapouge décrit si bien la Vienne impériale avec sa police et ses fastes, la camaraderie virile entre jeunes officiers et le difficile amour de l'un de ceux-ci, Otto Apfelgrun, pour la duchesse, que l'épopée militaire ne sert plus que de stimulant à la passion. Le sensible Otto, soldat par privilège de caste plus que par vocation, se révèle plus intellectuel, sinon plus intelligent que le Fabrice de «La Chartreuse de Parme» de Stendhal. Otto a déjà été mis en prison pour ses «idées». Les espions du pouvoir ne l'ont pas tout à fait oublié. Il s'exprime avec élégance... et Gilles Lapouge a le droit de se montrer fier de lui. Mais la guerre se soucie peu des sabreurs romantiques. Errant sur le champ de bataille, Thénardier du désespoir et de la passion, la duchesse Clémence, qui aura eu tout juste le temps de devenir sa maîtresse, retrouvera son amant agonisant. Cela nous vaut quelques pages remarquables par leur solide simplicité, où l'invention et la mise en place des détails s'imposent sans défauts. Le propre, justement, des grands romanciers. Des événements, des décors, des idées, du mouvement : «La bataille de Wagram» est un vrai récit. Et un beau livre.